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Objets connectés, drones, robots : à nouveaux objets, nouvelles responsabilités ?

Civil - Responsabilité
31/01/2017
Le 27 janvier dernier s’est tenue la 2e édition des Assises du droit et de la compétitivité, organisée par le Club des juristes en partenariat avec les Échos. L’un des ateliers était consacré aux problématiques juridiques soulevées par le développement des objets connectés et aux avancées technologiques en matière de robot. Des points de vue assez antagoniques se sont exprimés. Avec un point de convergence : la nécessité de mener une réflexion éthique. 
Code ou droit ?
Son expérience l’a prouvé à de multiples reprises : « L’innovation précède le droit », a rappelé Henri Seydoux, serial entrepreneur, actuellement à la tête de Parrot. Et la réglementation s’adapte bien aux nouveaux usages. Mais le code est-il condamné à précéder le droit ? Pour Alain Bensoussan, avocat et spécialiste reconnu en droit des NTIC, « le droit va être codé, parce que code et droit sont très proches ».
Avec, in fine, probablement une certaine convergence internationale. Car pour le P-DG de Parrot, une harmonisation des codes va nécessairement se produire : prenant l’exemple de véhicules autonomes, il anticipe que demain, « il faudra tous conduire comme en Californie : les codeurs ne feront pas 36 000 codes ». Ce qui bien sûr risque d’accentuer la dépendance numérique vis-à-vis des GAFA.
 
De la voiture connectée à la voiture autonome
Depuis août dernier (Ord. n° 2016-1057, 3 août 2016, JO 5 août, relative à l'expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques), l’expérimentation de véhicules à délégation totale de conduite sur le réseau routier français est possible. Guillaume Devauchelle, vice-président innovation et développement scientifique du groupe Valéo, a ainsi indiqué que des essais étaient en cours, notamment sur le périphérique parisien.
C’est donc une petite révolution qui se prépare : le conducteur n’en sera plus un. Pour Guillaume Devauchelle, « jamais le conducteur ne sera autant surveillé ». Et bientôt, la voiture ne sera plus un bien, mais un service… Toutefois, même si le risque d’accident sera drastiquement réduit, le risque zéro n’existera jamais. Comment, dès lors, si la délégation de conduite est totale, indemniser les victimes ? La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (JO 6 juill.), dite loi Badinter, après plus de trente ans de bons et loyaux services, n’est pas adaptable à l’hypothèse d’un conducteur devenu simple opérateur et essentiellement passif.
Pour Grégoire Loiseau, « il faudra des règles particulières pour la voiture autonome, mais il ne faut pas révolutionner tout le droit de la responsabilité ».
D’autres questions se posent, également, notamment en termes de respect de la vie privée et de conservation des données.
 
De l’équilibre entre assurance et responsabilité
Les assureurs se préparent à l’arrivée de ces nouveaux risques (objet connecté hacké, drone causant des dommages, voiture sans conducteur à l’origine de dommages ou de victimes, etc.) Les hypothèses sont légion. Faut-il répondre à ces futurs dommages par la création d’autant de fonds d’indemnisation que de risques ? Pour Véronique Weill, anciennement Chief Customer Officer en charge des clients, de la marque et du digital chez Axa, trois hypothèses se présenteront. Si la personne assise à la place du conducteur n’a pas la main sur le volant, alors l’assureur indemnisera à la fois l’opérateur de conduite et la victime. Si, en revanche, le conducteur avait la maîtrise directe du véhicule au moment du dommage, seule la victime serait indemnisée. Reste le cas dans lequel la voiture sera hackée : cette cyberattaque pourrait alors être assimilée à un vol et l’indemnisation être effectuée par un fonds d’indemnisation.
L’Internet of things (IoT) et les datas permettront aux assureurs de mieux connaître et donc de mieux protéger leurs clients. À une question posée sur l’utilisation des données de santé par ces professionnels, Véronique Weill a indiqué que, pour les assureurs, l’important c’est la prévention et non la fixation d’une tarification en fonction des données connectées. Tout en rappelant que « l’assureur devra avoir accès aux données générées par la voiture », notamment pour dégager les responsabilités.
Pour Grégoire Loiseau, « c’est le dominant qui doit être responsable », étant précisé qu’ « une seule règle de droit ne pourra pas régler toutes ces nouvelles responsabilités ». Ce qui rend nécessaire une réflexion approfondie, c’est le facteur d’autonomie de ces nouveaux objets, nouveauté par rapport à la première génération d’objets connectés. « Ces nouveaux objets vont vite et les juristes sont tentés d’aller vite », note cet auteur, recommandant une grande pondération en la matière.
La solution, pour Alain Bensoussan, passe « par des responsabilités en cascade avec une indemnisation généralisée via l’assurance ».
 
Faut-il doter les robots d’une personnalité juridique ?
Pour Grégoire Loiseau, « donner une personnalité juridique aux robots n’apportera pas beaucoup de solutions » et soulèvera un certain nombre de questions, comme celle de savoir qui abondera le patrimoine de cette nouvelle personne juridique. Le professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne a évoqué ces rapports scientifiques qui démontrent que l’homme a cessé d’évoluer. Soulignant que, désormais et plus encore demain, l’homme peut être amélioré grâce à la progression de la science. Mais « le problème, c’est quand l’on veut améliorer non plus seulement l’homme, mais l’espèce humaine », a-t-il ajouté, s’inscrivant en faux des tenants des philosophies transhumanistes.
Pour Maître Bensoussan qui indique se situer « tout à fait dans ce courant de l’homme augmenté », il faudra, à l’inverse, nécessairement conférer une personnalité juridique aux robots les plus autonomes. D’autant que « le robot va s’humaniser et l’homme va se robotiser ». Notamment parce que demain les imprimantes 3D pourront permettre de doter les robots de tissus humains, alors que, de son côté, l’homme sera augmenté grâce aux exosquelettes et aux prothèses.
Alain Bensoussan va même plus loin, réclamant « un débat sur les droits de l’homme de l’intelligence artificielle ».
 
De l’importance des datas
Difficile de prétendre que l’utilisateur d’un wearable (objet connecté portable) a le contrôle de toutes les données générées et peut empêcher leur exploitation. En tout état de cause, pour Alain Bensoussan, le règlement général sur la protection des données (Règl. (UE) n° 2016/679, 27 avr. 2016, JOUE 4 mai 2016, n° L 119), applicable en mai 2018, n’envisage pas les problématiques soulevées par l’intelligence artificielle. Ce spécialiste a également souligné la différence d’approche de la data entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Pour la première, elle est un élément à protéger. Pour la seconde, une valeur économique.

Un droit universel de l’intelligence artificielle ?
La croissance exponentielle des objets connectés pose de nombreuses questions. Dont le respect de la vie privée de leur utilisateur, la détermination du propriétaire des données et l’indemnisation des victimes. Mais pas seulement.
Faut-il encadrer le développement de ce secteur par une ou des législations spécifiques ? Faut-il prévoir un code du codeur, interdisant certaines orientations à la recherche ? Est-ce que l’un des enjeux n’est pas la limitation de la recherche sur l’intelligence artificielle ? Une charte suffit-elle ? Peut-on imposer la création d’objets et de robots ethic by design ?
Beaucoup de questions, sans réponses évidentes. Avec deux prises de conscience, cependant : la nécessité de fixer un fondement éthique pour les chercheurs et de porter la réflexion au niveau européen et international. Alain Bensoussan plaidant ainsi pour « un droit universel de l’intelligence artificielle et surtout pas un droit national ».
 
 
Source : Actualités du droit